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Prendre refuge, ou comment devient-on bouddhiste

    Il peut arriver que nous nous demandions comment devenir bouddhiste et ce que cela implique. Cette une belle question et d’autant plus précieuse qu’elle est rare. Et en même temps, bien souvent cela nous fait peur. On voit se profiler une forme d’adhésion, voir même de conversion qui nous inquiète. On a peut-être entendu que les bouddhistes “prennent refuge”, mais en quoi d’abord? En le Bouddha? Qu’est-ce que cela veut dire? Et d’abord, serons-nous toujours aussi libres qu’avant si nous prenons refuge en ce que le Bouddha représente, son enseignement et celles et ceux qui suivent d’une façon excellente ce chemin? Et d’ailleurs, est-ce bien nécessaire?

    Prendre refuge

    Tout d’abord, revenons aux termes mêmes de cette expression: “prendre refuge”. Pour bien comprendre ce dont il est question ici, il est déjà bien de savoir qu’en tibétain, nous parlons plutôt “d’aller vers ce qui protège”. Il y a donc bien ici l’idée d’aller quelque part, d’aller vers un lieu ou une voie, une pratique, une foi peut-être, une protection qui pourra nous rassurer. Mais pourquoi “chercher refuge”, alors que nous n’avons pas particulièrement peur et que l’idée nous semble même un peu étrange? Parce qu’en fait, c’est cela que nous faisons constamment!

    “Prendre refuge”, n’est-ce pas ce que nous faisons quand nous cherchons à répondre à nos peurs existentielles qui nous poussent à réunir autour de soi ce qui nous sécurise? Ne sommes-nous pas en train d’espérer que les richesses, le pouvoir et les relations dont on s’entoure auront le pouvoir de répondre à nos besoins et à nos inquiétudes et de nous assurer ainsi du bonheur qu’il nous faut dans cette vie? Certes, notre attente de bonheur est légitime, mais sommes nous certains que les méthodes ordinaires pour y parvenir et éviter la souffrance sont efficaces?

    C’est justement ce doute et la prise de conscience que quelque chose ne fonctionne pas bien dans cette stratégie mise en place qui peut nous amener à rencontrer le bouddhisme, au hasard d’une lecture ou d’une rencontre. Cherchant des questions à nos réponses, le bouddhisme suscitera peut-être alors un intérêt pour nous. Et en nous demandant ce qu’il a à nous offrir, nous finirons par nous dire que oui, c’est bien là que nous trouvons nos réponses. “Prendre refuge”, d’un point de vue bouddhiste, aura alors du sens.

    Dans le meilleur des cas, nous comprendrons qu’il n’est pas question extérieurement d’adhérer à une religion exotique ou de changer notre alimentation, nos manières de nous habiller, ni même d’abandonner nos relations. Nous comprendrons que si le renoncement dont font preuve les moines et les nones est noble et profond, la pratique du Dharma (l’enseignement du Bouddha) peut être mise en place dans notre vie, là et maintenant, et qu’il est possible d’être ce que nous sommes tout en étant bouddhiste. Certes, nous comprendrons aussi que des changements profonds et intérieurs seront nécessaires, mais qu’une voie est justement faite pour cela, pour que nous puissions cheminer et apprendre ce qui est nécessaire de savoir, à chaque étape.

    À ce moment-là, il deviendra plus simple de “prendre refuge” et nous comprendrons que ce n’est pas qu’une formalité et que cela ne se résume pas à une adhésion. Bouddha(s), Dharma(s) et Sangha(s), les trois Rares et Sublimes, commenceront à n’être plus uniquement des mots ou des idées, mais des termes indiquant de nombreuses qualités que nous possédons aussi en nous-mêmes et que nous pouvons cultiver.

    Les voeux du refuge

    Le jour où nous déciderons de prendre refuge, non plus seulement intérieurement, dans le secret de nous-mêmes, mais en voulant le signifier en manifestant pleinement cette décision, nous pourrons alors demander à recevoir les “voeux du refuge”. C’est un maître qui les a lui-même ou elle-même reçus qui pourra les transmettre. Là encore, une certaine appréhension peut s’élever, car en parlant de « vœux » cela fait référence à des notions parfois lourdement connotée. Il est donc important de bien comprendre ce dont il s’agit.

    Il faut préciser aussi, c’est un point important, que le maître qui transmet ces voeux ne devient pas automatiquement « notre maître ». Prendre ces voeux nous permet de passer la porte du Dharma. Cette personne est donc un passeur de guet, un passeur de seuil. Si ensuite, d’aventure, et suite à un examen approfondi, l’on décide de considérer cette personne comme son référent spirituel, c’est une autre chose, mais il n’y a aucun automatisme en cela. Ceci s’explique par le fait que ces voeux de refuge sont les voeux de base de toute la tradition bouddhiste dans son ensemble et nous relie fondamentalement à la tradition du Bouddha. Recevoir ces voeux fait de nous un « djé djoug », un disciple du Bouddha, dans le sens de quelqu’un qui, littéralement, va à la suite du Bouddha. C’est donc de lui dont nous devenons le disciple, et de personne d’autre.

    Les vœux de refuge sont liés à neuf préceptes, ou neuf qualités et attitudes que l’on tâchera d’observer dans notre vie quotidienne. En ce sens, les vœux, dans la tradition bouddhiste, sont toujours des aides sur le chemin, comme un ensemble de points d’appuis qui vont nous permettre d’y revenir quand nous dévions de notre intention première. Les voeux, ou nos engagements si l’on préfère, sont donc un rappel pour nous-mêmes qui vont nous permettre de cultiver en nous la vigilance et l’attention présente à qui nous sommes et à ce que nous faisons.

    Le Bouddha

    Ces neufs préceptes, ou vœux de refuge (trois liés au Bouddha, trois au Dharma et trois à la Sangha), nous invitent tout d’abord à considérer qu’à partir du moment où nous avons pris refuge en le Bouddha, l’éveil sera notre destination ultime, notre but. Il est donc bien question ici d’ultime, pour dire que le voyage sera au long cours et que nous entrons dans le chemin. Cela implique aussi que l’on a pas besoin d’être parfait pour faire le chemin, mais qu’il commencera là où nous sommes, dans notre réalité relative et quotidienne. L’éveil est donc une aspiration et une inspiration et ne s’apparente pas à une injonction à la perfection. En fait, nous devenons symboliquement la ou le disciple du Bouddha et c’est ce modèle intérieur que nous voulons suivre. Tout comme pour le Bouddha, l’éveil n’est pas venu en un seul jour et chaque étape de sa vie, depuis son existence insouciante dans le palais de son père jusqu’à sa réalisation au pied de l’arbre de Bodhgaya, nous rappelle que nous aussi nous faisons le chemin, progressivement.

    Ce refuge en le Bouddha et plus encore en ce qu’il représente suppose aussi de voir en l’éveil le refuge ultime, comprenant que les visées ordinaires, pouvoir, argent, célébrité, même si elles peuvent s’avérer utiles, ne sont pas le but ultime de l’existence. Comprendre en profondeur les qualités de l’éveil nous permettra petit à petit de mieux comprendre tout ce que cela implique. Pour accéder à cette compréhension, nous nous engagerons sur le triple chemin de l’écoute, de la réflexion et de la mise en oeuvre.

    Le Dharma

    Le deuxième groupe de préceptes est celui qui nous relie au Dharma, l’enseignement du Bouddha, ou la voie vers l’éveil. Décidant alors de parcourir cette voie, nous souhaitons agir au plus près du coeur du Dharma. Dès lors, nous tâcherons de ne plus faire du mal à un seul être. Certes, il y a bien des fois où malgré tout ce sera le cas, et involontairement, il nous arrivera par exemple de tuer un moustique qui nous dérange, mais notre engagement étant pris, nous ferons de notre mieux, certain que nous sommes du respect fondamental que demande chaque existence. L’ahimsa, ou non-violence, nous tiendra lieu d’éthique, comprenant ainsi que le Dharma n’est là que pour aider les êtres et en aucun cas leur faire du mal. S’entrainer dans toutes les circonstances à développer la vertu, comme par exemple en développant la générosité, sera vu comme une mise en pratique concrète de notre pratique.

    La sangha

    Troisièmement, prenant refuge en la sangha, la communauté sublime des disciples du Bouddha, nous verrons en eux l’exemple de celles et ceux qui mettent en oeuvre au plus près d’eux-mêmes la pratique du Dharma. Cette sangha sublime deviendra alors pour nous la source d’inspirations multiples et diverses qui nous rappellera que tout comme ceux qui ont cheminés, nous-mêmes sommes en chemin et qu’à la façon des grands disciples du Bouddha, nous apprenons à faire un pas devant l’autre pour avancer sur la voie. Leur exemple nous encouragera aussi à laisser de côté les amitiés nuisibles, celles qui augmentent en nous l’ignorance et qui pourraient nous faire adopter des attitudes mentales, physiques ou verbales contraires à l’éthique bouddhiste. Cultiver encore une fois l’écoute, la réflexion et la mise en oeuvre de l’enseignement deviendra une manière concrète de prendre exemple sur la sangha sublime et relative. À ce propos, Lama Teunsang, et avec le sourire au lèvre, s’est souvent plu à rappeler qu’il faut prendre exemple sur les vieux pratiquants, « mais sur les bons ».

    Devenir bouddhiste

    Une fois ces voeux de refuge transmis et reçus, nous pourrons donc nous considérer comme étant bouddhiste et nous réjouir de donner ainsi à notre existence son plus noble sens. Comme le disent les textes classiques, dès ce jour nous serons né dans la famille spirituelle des Bouddhas et comme eux, nous oeuvrerons alors, d’instant en instant, à faire disparaitre les voiles de l’ignorance et à développer en nous l’amour et la compassion sans limite.