Comment comprendre l’interdépendance ?

“Le récit traditionnel le plus courant décrit que le Bouddha a atteint l’Éveil au cours d’une nuit qui s’est déroulée en trois étapes ou “veilles” (c’est-à-dire des périodes d’environ trois heures, correspondant approximativement à 21h-minuit, minuit-3h et 3h-6h).

Dans la première veille, le Bouddha a vu sa propre continuité karmique, c’est-à-dire toutes ses vies antérieures, ses actions, ses pensées, etc., l’interaction de chaque action avec celles qui l’ont précédée et celles qui en découlent, et comment tout cela l’avait conduit à ce moment particulier sous l’arbre de la Bodhi.

Dans la deuxième veille, sa perspicacité s’est étendue aux actions et conditions passées et futures de tous les êtres sensibles, comment chaque situation survient en raison d’actions et de conditions antérieures et comment cela conditionne ensuite l’apparition d’autres actions. En d’autres termes, il a “vu” le principe du karma, non pas en tant que “principe” universaliste, mais dans ou par ses opérations particulières.

Dans la troisième veille, il a observé pratītya-samutpāda, la “coproduction conditionnée” qui détenait la clé pour dénouer l’esclavage karmique (c’est-à-dire ce qui maintient duḥkha, la souffrance).

Il a atteint l’Éveil (bodhi) au moment où l’aube se levait. Selon la section d’ouverture du Mahāvagga dans le Vinaya Pāli, le Bouddha a passé les sept jours suivant son Éveil à jouir de la félicité de la libération tout en contemplant encore et encore les détails de la pratītya-samutpāda.”

Extrait de Buddhist Phenomenology: A Philosophical Investigation of Yogacara Buddhism de Dan Lusthaus (Routledge Critical Studies in Buddhism) 2014.

“A la troisième veille de la nuit de son Éveil ou la semaine qui suivit, le Bouddha découvrit I’ensemble des conditions qui président à la manifestation de l’existence conditionnée dans le saṃsāra. Son principe est décrit ainsi : « Ceci étant, cela vient à exister. De l’apparition de ceci vient cela ; ceci étant absent, cela n’est pas ; par la cessation de cela, ceci cesse » (Samyutta Nikaya, 11-28). […]

Définition : Le mécanisme qui a pour nom pratītya-samutpāda, signifie bien “coproduction conditionnée” plutôt qu’« interdépendance », qui pourrait laisser entendre I’existence de phénomènes individuels autonomes interagissant entre eux. Le terme de « causalité », souvent employé, pourrait prêter lui aussi à confusion, parce qu’il ne s’agit pas d’un déterminisme causal dans un monde constitué de phénomènes substantiels tel qu’on le conçoit en Occident, mais plutôt d’une conditionnalité opérant dans l’instant.”

Extrait du Dictionnaire encyclopédique du bouddhisme de Philippe Cornu, éditions du Seuil, 2006.